Le copywriting est-il genré ?
Depuis que j’ai poussé les portes du marketing de contenu, cet article trotte dans ma tête parce que je n’ai jamais pu vraiment me projeter dans l’univers du copywriting tel qu’il se présente habituellement.
Je n’ai jamais accroché aux discours des voix autorisées sur la question.
Alors, j’ai cherché à comprendre et sont venues plein de questions : ai-je ma place dans le milieu du copywriting ? Pourquoi le monde du copywriting est-il encore si masculin ? L’expression « copywriting au féminin » a-t-elle un sens ? L’écriture marketing est-elle « genrée » ?
Autant de doutes à éclaircir à l’heure où de plus en plus de femmes se lancent à la conquête de ce nouvel eldorado de l’écriture.
Le copywriting mainstream et patriarcal
Havanes et Pétrole
Revenons au début de l’histoire.
Quand j’ai commencé à m’intéresser au copywriting, début 2021, j’ai acheté des livres sur le sujet. Parallèlement, je me suis inscrite aux newsletters de quelques copywriters francophones, pour acquérir des connaissances, mais aussi pour analyser leurs propres stratégies de vente et les histoires qu’ils racontaient à leur audience afin de vanter les mérites de leur art et attirer à eux de nouveaux clients.
Je recevais donc régulièrement des textes me vantant tout le potentiel du métier de copywriter freelance, illustrés par des histoires inspirées du parcours de figures tutélaires du copywriting, les David Ogilvy, Joseph Sugarman, Robert Bly, Mel Martin et autres mad men…
Entre les volutes âcres des havanes, les notes boisées et épicées des fragrances masculines, les carrures gominées en complet veston prince de Galle buvant whisky sur whisky dans des fauteuils Chesterfield, j’avoue avoir rapidement eu du mal à me projeter dans les success-stories de ces self-made-men.
Je ne parvenais pas à me mettre dans les pas de ces pionniers du marketing de contenu devenus soudain millionnaires grâce à des textes de vente mémorables.
Sachant que je me shoote à l’huile essentielle de lavande fine et aux darjeelings de printemps, et que je suis bien plus à l’aise dans la posture de l’arbre (yoga for ever) que sur une moto vintage, les odeurs cuirées et pyrogénées des Harley Davidson et autres engins très rapides manquaient à mon goût de fraîcheur verte et de notes florales !
Tout cela vous semble caricatural ?
Certes, les temps ont changé et de plus en plus de copywriters, hommes et femmes confondus, prônent une approche du marketing plus bienveillante et moins survoltée par la ruée vers l’or et le rêve américain.
Certes, une de mes plus grandes sources d’inspiration en entrepreneuriat est Martin Latulippe, pour son approche très humaniste du monde des affaires.
Certes, il y a beaucoup de créatrices de contenu et de copywriter femmes dans le monde anglo-saxon.
Mais aujourd’hui encore, sur YouTube, les voix francophones les plus écoutées du copywriting sont masculines et les formations les plus célèbres et les plus coûteuses sont dirigées et pensées par des hommes, et animées par une énergie yang excessive.
Le monde du copywriting sent encore très fort l’odeur des liasses de dollars des bureaux cossus de Manhattan version 1950 ou de la Silicon Valley des années 2000.
Même dans le livre inspirant de Guillaume Lamarre, La Voie du Créatif, ouvrage que j’ai adoré et dévoré par ailleurs, l’essentiel des histoires entrepreneuriales de grands créatifs et créateurs sont des histoires… d’hommes.
La part d’ombre du copywriting
Qui plus est, ce n’est pas seulement le storytelling de ces copywriters de renom qui m’a donné envie m’en distinguer, ce sont aussi leurs techniques de vente : miroirs aux alouettes (« gagnez xxx euros par mois en devenant copywriter grâce à ma formation géniale et secrète »), pièges à prospects, messages intrusifs et trompeurs jusque dans ma messagerie LinkedIn, pression psychologique et tunnels de ventes balourds et cousus de fils blancs pour l’œil aguerri…
Les racines intellectuelles et sociologiques du copywriting
Avant de développer la question de savoir si un autre copywriting, un « copywriting au féminin » est possible, éclairons quelques éléments fondateurs du copywriting, qui expliquent sans mal la source des malaises ressentis.
« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »
Cette technique de vente trouve en effet ses racines intellectuelles dans la psychologie des foules, née dans l’Europe de la Révolution industrielle, chez des sociologues, criminologues et cliniciens tels que Charles Mackay, Gustave Lebon, Émile Durkheim ou encore Scipio Sighele. Il s’agit à l’époque de comprendre les ressorts des pulsions collectives et des dysfonctionnements sociaux.
Sans oublier la contribution de Sigmund Freud à l’étude de la psychologie non plus collective, mais individuelle.
Mais, c’est ailleurs et quelques années plus tard, que ces avancées de la psychologie sociale et de la psychanalyse vont être récupérées outre-Atlantique par les spin doctors des grands industriels afin de lancer les premières opérations commerciales de masse dans une société de consommation en plein boom.
Les médias (le « quatrième pouvoir ») — radio, presse et télévision naissante — sont les principaux alliés des pères fondateurs des public-relations et de la publicité, au premier rang desquels figure un certain Edward Bernays, qui n’est autre que le neveu de… Sigmund Freud !
À la veille de la crise de 1929, dans son ouvrage Propaganda, Bernays propose d’abandonner le terme « propagande » pour celui de « relations publiques ».
Il y pose les bases psychologiques de la propagande politique de masse, du management, de la publicité et du copywriting.
CETTE PROPAGANDE MODERNE MADE IN USA EST DÉFINIE PAR L’AUTEUR COMME UN « EFFORT COHÉRENT ET DE LONGUE HALEINE POUR SUSCITER ET INFLÉCHIR DES ÉVÉNEMENTS DANS L’OBJECTIF D’INFLUENCER LES RAPPORTS DU GRAND PUBLIC AVEC UNE ENTREPRISE, UNE IDÉE OU UN GROUPE ».
La rhétorique d’Edward Bernays
La rhétorique de Bernays recourt souvent à des métaphores belliqueuses et organiques : il faut « enrégimenter » les gens ; ; l’individu est une « cellule de l’organisme social ». Il s’agit d’exciter « un nerf à un endroit sensible [pour déclencher] automatiquement la réaction d’un membre ou d’un organe précis ». La nation de citoyens — autant de consommateurs — est donc semblable à un immense organisme vivant dont le cerveau ne se situe pas au niveau du peuple, de la majorité grégaire, mais bien à celui des élites.
L’enjeu crucial est de parvenir à diffuser les idées de la « minorité intelligente » à l’ensemble des membres du corps social.
L’Histoire est tragique et terriblement ironique puisque les méthodes de Bernays deviendront quelques années plus tard, une source d’inspiration pour le ministre nazi de la propagande, le sinistre Joseph Goebbels.
« SCIENCE SANS CONSCIENCE N’EST QUE RUINE DE L’ÂME » (RABELAIS, XVIEME SIÈCLE)
Outre-Atlantique, c’était un autre récit : le terreau était là et suffisamment fertile pour inaugurer, dès la fin de la guerre, l’âge d’or du copywriting des 30 glorieuses.
Quand Maslow se retourne dans sa tombe
Dès lors, et au fur et à mesure des avancées de la psychologie et des neurosciences, les publicitaires vont affiner les techniques de ventes.
Cependant, à la différence des psychologues dont le travail vise l’amélioration de la vie des individus considérés comme des êtres humains à part entière, les publicistes ne s’adressent pas àl’individu conscient et raisonnable, mais à la part inconsciente et invisible du consommateur : ils ciblent ses désirs, ses pulsions, ses manques intimes, ses blessures, voire sa part d’ombre.
L’individu n’est plus considéré comme un être humain doté d’un libre arbitre, mais bien comme un objet d’expérimentation psychologique, dont il faut manipuler les ressentis et les actes pour le conduire à trouver une satisfaction dans l’acte d’achat.
À ce sujet, un personnage revient très souvent dans les formations en copywriting et marketing : Abraham Maslow (1908-1970).
La mal nommée « Pyramide de Maslow »
Maslow est reconnu aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la psychologie transpersonnelle ainsi que de la psychologie humaniste, aux côtés de Carl Rogers.
Le psychologue humaniste s’intéresse aux potentialités multiples de l’être humain et des conditions lui permettant de se réaliser, de s’accomplir dans son groupe social et de donner un sens à sa vie.
CEPENDANT, A L’INSTAR D’ALBERT EINSTEIN, MASLOW A EU LE MALHEUR DE FAIRE UNE TROUVAILLE GÉNIALE : LA COMPRÉHENSION DES BESOINS FONDAMENTAUX DE L’ÊTRE HUMAIN ASSURANT SA SANTÉ PHYSIQUE ET PSYCHIQUE ET SON BIEN-ÊTRE.
Les recherches de Maslow vont vite lui échapper et être récupérées par un consultant en management qui va synthétiser les théories du psychologue, en les schématisant de façon caricaturale sous forme d’une pyramide, connue sous le nom de « pyramide de Maslow ».
La pyramide de Maslow ou la récupération de la psychologie humaniste à des fins commerciales
Nous arrivons au cœur du sujet et à la compréhension de ce qui, je crois, m’a fondamentalement bloquée dans l’adhésion à la doxa du copywriting, relayée dans toutes les formations sur cet art de la vente.
Parce que l’intention humaniste de Maslow, sa volonté d’aider les humains à être heureux en trouvant les clefs de la richesse intérieure, immatérielle, voire spirituelle a complètement été dévoyée et récupérée à des seules fins de profit matériel.
LA PYRAMIDE DE MASLOW, VIDÉE DE SA SUBSTANCE HUMANISTE, EST DEVENUE UN BANAL INSTRUMENT DE MANIPULATION PSYCHOLOGIQUE.

Aux antipodes du Copywriting éthique
Pire, le discours qui est transmis au copywriter en herbe est que, plutôt que de jouer sur les émotions positives, il serait plus efficace d’activer les peurs les plus profondes de la psyché humaine pour conclure une vente.
Et cela pose un sérieux problème éthique qui contrevient à un principe commun à toutes les sagesses et bien des philosophies de toutes les époques : la nécessité de reconnaître tout être humain comme une fin en soi et non comme un moyen.
Cette idée de base de la pensée universelle est ainsi formulée chez Emmanuel Kant :
« L’HOMME, ET EN GÉNÉRAL TOUT ÊTRE RAISONNABLE, EXISTE COMME FIN EN SOI, ET NON PAS SIMPLEMENT COMME MOYEN DONT TELLE OU TELLE VOLONTÉ PUISSE USER A SON GRÉ. »
Dans la récupération simpliste de la psychologie de Maslow, l’humain n’est plus considéré comme une fin en soi, mais comme un moyen.
Un moyen de faire du profit.
L’objectif étant de vendre, il ne faut pas hésiter à appuyer là où ça fait mal et de faire surgir la tristesse, la colère, les blessures de l’enfant intérieur dirait-on aujourd’hui.
L’idée est de mettre la cible (le consommateur) dans un état de vulnérabilité auquel le vendeur apporte LA solution à grand renfort de discours prometteurs.
Exemples
Vous êtes insomniaque, notre pilule magique vous fera dormir comme un bébé = niveau 1 de la pyramide de Maslow.
Vous n’arrivez pas à boucler vos fins de mois, vous vous sentez en insécurité, et votre estime personnelle est au plus bas ? Nous avons la solution pour faire de vous un homme heureux qui saura apporter la protection à sa famille ! = niveau 2 de la pyramide de Maslow.
Vous avez perdu l’éclat de vos vingt ans et craignez de mourir seule ? Nous avons la solution pour devenir la plus belle et trouver l’amour ! = niveau 3 de la pyramide de Maslow.
Vous êtes triste et jaloux·se car d’autres semblent réussir mieux que vous ? Nous avons ce qu’il vous faut pour briller en société et attirer le regard des autres ! = niveau 4 de la pyramide de Maslow.
Vous avez atteint la réussite matérielle, vous avez tout pour être heureux, mais vous ne trouvez plus de sens à votre existence ? Ne vous inquiétez pas, nous sommes là pour vous, rejoignez-nous sans plus attendre = =niveau 5 de la pyramide de Maslow.
Vers un copywriting au féminin ?
Et c’est là que surgit l’idée d’un copywriting au féminin, soit :
Une autre façon de consommer
Une autre façon de concevoir la relation de vente
Une autre façon de s’adresser aux clients et prospects
Parce qu’avant d’être des consommateurs, il·elle·s sont avant tout nos semblables !
Cet article est plus long que ce que je n’avais pensé ! Je vous invite donc à poursuivre la réflexion dans ce deuxième article dans lequel je tente d’expliquer en quoi pourrait consister un copywriting au féminin.